Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Béatrice Meyer, une vie contre l’inceste

Béatrice Meyer a perdu espoir en la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). « Elle a fait un très beau travail. Mais ça ne servira à rien, tant que l’Etat ne mettra pas les moyens suffisants », juge l’infirmière à la retraite, spécialiste de la prévention de l’inceste à l’école. Comme les onze membres démissionnaires de la Ciivise jeudi 14 décembre, elle déplore l’éviction, décidée par le gouvernement, du juge Edouard Durand.
L’ancien coprésident de la commission réputé pour son indépendance a été remplacé par l’ex-­rubgyman Sébastien Boueilh, président de l’association Colosse aux pieds d’argile. Une décision qui, selon elle, révèle le « manque d’ambition » du gouvernement dans la mise en œuvre des recommandations du rapport de la Ciivise rendu en novembre. Béatrice Meyer, 69 ans, a suivi avec intérêt, mais à distance, ces deux années de travaux. Elle aurait aimé participer aux séances plénières, mais elle n’en a pas eu l’occasion. Pourtant elle avait des choses à dire. En tant que victime et en tant qu’infirmière.
De 1997 à 2016, elle a mené des ateliers de prévention auprès des écoliers en maternelle et en ­primaire à Belfort, au sein d’une équipe de dix infirmières employées par la municipalité. Face à un contexte familial qui incite au silence, « l’école est le seul lieu où les enfants peuvent révéler qu’ils sont victimes d’inceste », explique Béatrice Meyer. Et d’ajouter : « Je suis la mieux placée pour le savoir. » Victime de violences sexuelles de la part de son père de ses 4 à ses 14 ans, l’infirmière à la retraite regrette de ne pas avoir pu en parler à l’école. « A l’époque, on ne dénonçait pas », soupire-t-elle.
De sa famille, deux faces se distinguent. Côté pile, une dynastie de la grande bourgeoisie parisienne, héritière de l’épicerie de luxe Corcellet – pourvoyeuse du café de Marcel Proust –, où « il fallait paraître ». Côté face, une lignée de pères agresseurs qui pratiquent l’inceste sur trois générations. Au point de convaincre l’ancienne infirmière d’investiguer sur les multiples bourreaux et victimes d’une famille « monstrueuse », aux côtés de sa cousine, l’écrivaine Sophie Chauveau, qui lui dédiera son livre biographique La Fabrique des pervers (Gallimard, 2016). Un ouvrage qui donnera ensuite le courage à Camille Kouchner de publier La Familia Grande, en 2021.
Béatrice Meyer a longtemps gardé secret le cauchemar de son enfance. Lorsqu’elle se confie pour la première fois à sa mère, celle-ci lui dit qu’elle se « fait des idées ». La seconde fois, lors d’un trajet en voiture à 14 ans, l’adolescente « déballe tout », entraînant le divorce de ses parents. Elle a 55 ans quand elle pousse la porte du commissariat pour porter plainte, malgré la prescription. Souffrant de dépression, elle confie subir encore, à 69 ans, les séquelles de ce traumatisme, qui a causé des difficultés profondes dans sa vie amoureuse.
Il vous reste 50.17% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish